L’Atelier Immédiat a vu le jour en 2007 à Paris, dans le sillage de l’action des Enfants de Don Quichotte. Il a rassemblé concepteurs et constructeurs d’espaces déterminés à intervenir auprès des sans-abri et mal-logés affrontant au quotidien l'inhospitalité de nos espaces urbains. Par l'expérimentation et la réflexion, fragiles par définition, il s'est donné pour ambition de concevoir des réponses avec et pour ceux qui, malgré tout, cherchent refuge ici-même. Parce qu'il nous faut rompre avec toutes les positions militantes, politiques, ou professionnelles, qui interdisent d'agir et de penser à nouveaux frais. Parce qu'il nous faut rompre avec le mythe de la solution de logement, définitive et globale, rêve et cauchemar tout autant. Parce qu'il nous faut rompre avec les visions, infiltrées dans tous les partis, qui président au développement d'un urbanisme massif, héroïque et mortifère tout autant.

Parce qu'il nous faut inventer d'autres manières d'expérimenter tous azimuts, d'agir sans relâche, de construire pour et avec les personnes désarmées, mais jamais démunies de tout. Parce qu'il nous faut mobiliser autrement le droit, l'économie, le "social", et composer d'autres horizons de pensée et d'action. Parce qu'il nous faut imaginer des réponses souples, transitoires, évolutives, en devenir et remarquables, et faire ainsi face aux questions diverses, complexes, singulières, et urgentes qui nous sont posées, ici et maintenant. Parce qu'il nous faut trouver le chemin des "villes invisibles" pour toujours davantage leur "faire de la place", comme nous y invite Italo Calvino :

L'enfer des vivants n'est pas chose à venir ; s'il y en a un, c'est celui qui est déjà là, l'enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d'être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l'enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l'enfer, n'est pas l'enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.

Italo Calvino, Les villes invisibles.






lundi 15 mars 2010

La Marquise ou l’occupation constructive du 1bis Place des Vosges

La Marquise, tel est le nom donné par ses occupants à l’hôtel particulier situé au 1bis Place des Vosges. Ici naquit en 1626 la Marquise de Sévigné comme en atteste fièrement une plaque de marbre blanc scellée sur la façade. Ici ont élu domicile plus de trente étudiants précaires sous la bannière de Jeudi Noir, petit échantillon des 600 000 personnes qui en France n’ont pas de logement personnel. Depuis le vendredi 12 mars, un blason, façon héraldique, expose ce chiffre aux yeux du passant. Un blason voisin souligne que « 88 000 ménages peuvent être expulsés à tout moment ». Lundi 15 mars, la trêve hivernale des expulsions locatives s’achève. La Marquise sonne l’alarme.


Un monument au mal logement.

Paris compte plus de 10% de logements vacants, chiffre attesté par l’IAURiF entre autres organismes dignes de foi. Les militants du collectif Jeudi Noir ont fait de la désignation de ces logements vacants un art. Ouvrant des bâtiments inoccupés, ils les allument pour en faire mesurer l’étendue. Les occupants bruyamment, ils les font résonner pour faire entendre combien leur vacance est invraisemblable dans le contexte d’urgence que nous connaissons. Par la voix de l’illégalité, ils en appellent à l’application pure et simple de la loi de réquisition.

En plein centre de Paris, la Marquise ne peut que faire résonner plus haut l’alarme, et donner à lire, entendre, comprendre, combien la crise du mal logement est profonde. Depuis le 12 mars, des blasons dressés sur les façades intérieures et extérieures du bâtiment en exposent les chiffres bruts : plus de 100 00 sans abris, 500 000 ménages en impayés de loyer, 600 000 logements insalubres, etc. Ainsi, tel un monument au mal logement, la Marquise manifeste l’étendue du désastre alentour, et fait écho pour ce faire aux données consignées par la Fondation Abbé Pierre dans son Rapport 2010. Pour qu’à travers l’application de la loi de réquisition entre autres soient respectés les textes fondateurs de notre République selon lesquels chacun doit bénéficier de « moyens convenables d’existence ».


Un lieu public de création

Depuis le 31 octobre 2009, les habitants de la Marquise s’efforcent de renverser l’image éculée du squat : occuper un lieu consiste à s’en occuper, y vivre à lui donner vie, y dormir à le rêver, y rêver à le réveiller. Ce bâtiment du XVIIe est devenu zone sensible, théâtre ouvert au public à l’occasion de concerts, spectacles (un Becket y est donné gratuitement à partir de mardi), et autres visites guidées (une historienne raconte les lieux un samedi sur deux). Depuis vendredi soir, un nouvel accès rue de Birargue est ouvert pour favoriser l’accueil des spectateurs, des curieux. Rendu public le temps d’une occupation, le bâtiment est comme rendu au public avant sa prochaine dégradation au rang de bien spéculatif : un avis d’expulsion a été prononcé le 18 janvier 2010 suite à la plainte déposée par une propriétaire sous tutelle…

Si un seul espace vacant ne peut faire refuge pour tous, la Marquise peut alimenter la réflexion pour que s’envisagent les milles réponses qui alentour s’imposent. Son occupation constructive trace cela : bien des lieux peuvent et doivent être réveillés, ne serait-ce que l’espace d’un temps, pour répondre à des besoins qui ne peuvent attendre que viennent enfin les providentielles « solutions de logement ». Depuis vendredi, la cour intérieure se pare d’une scène et de gradins. Ces constructions, comme les blasons, l’entrée rue de Birargue, ou encore une maquette au 1/50e présentée au public, sont quelques unes des réalisations consécutives à un travail ayant réuni ces derniers jours des étudiants en architecture de l’association Quatorze habitant la Marquise, ainsi que différents architectes, designers et graphistes réunis au sein de l’Atelier Immédiat (notamment des membres de Construire, directeur général, Encore Heureux, et EXYZT). Ces constructeurs ont rassemblés leurs efforts pour affirmer cela : la ville regorge d’espaces disponibles, bâtis ou non, où nous devons faire hospitalité de manière aussi immédiate que remarquable. La scène de la cour intérieure de la Marquise doit notamment accueillir différents débats permettant de saisir comment économiquement, juridiquement, et concrètement cela peut s’envisager. « SPERANZA! » est écrit en majuscules sur la scène. C’est le nom que prend cette réflexion au cœur d’un bâtiment qui résonne et raisonne. Et qui regarde d’autres espaces disponibles.



S.T.

dimanche 14 mars 2010

SPERANZA ! Rendu du 12 mars 2010_3



Construction et ouverture d'un accès par la rue de Birargue. Collaborateurs : Quatorze. Photo : Philippe Rizzotti.

SPERANZA ! Rendu du 12 mars 2010_2





Dans la cour intérieure de l'hôtel particulier, construction d'une scène frappée du nom SPERANZA!, espace à venir d'événements et de débats sur les réponses par l'acte constructif à proposer aux situations de mal logement. Collaborateurs : Construire, Directeur Général, Exyzt, Encore Heureux, Quatorze. Photos : Philippe Rizzotti.

SPERANZA ! Rendu du 12 mars 2010_1






Sur la façade donnant sur la Place des Vosges et sur les façades intérieures du bâtiment, accrochage d'extraits du Rapport de la Fondation Abbé Pierre sur le mal logement 2010. Collaborateurs : Construire, Directeur Général, Exyzt, Encore Heureux, Quatorze. Avec le soutien de la Fondation Abbé Pierre. Photos : Philippe Rizzotti, Sébastien Thiery

vendredi 5 mars 2010