L’Atelier Immédiat a vu le jour en 2007 à Paris, dans le sillage de l’action des Enfants de Don Quichotte. Il a rassemblé concepteurs et constructeurs d’espaces déterminés à intervenir auprès des sans-abri et mal-logés affrontant au quotidien l'inhospitalité de nos espaces urbains. Par l'expérimentation et la réflexion, fragiles par définition, il s'est donné pour ambition de concevoir des réponses avec et pour ceux qui, malgré tout, cherchent refuge ici-même. Parce qu'il nous faut rompre avec toutes les positions militantes, politiques, ou professionnelles, qui interdisent d'agir et de penser à nouveaux frais. Parce qu'il nous faut rompre avec le mythe de la solution de logement, définitive et globale, rêve et cauchemar tout autant. Parce qu'il nous faut rompre avec les visions, infiltrées dans tous les partis, qui président au développement d'un urbanisme massif, héroïque et mortifère tout autant.

Parce qu'il nous faut inventer d'autres manières d'expérimenter tous azimuts, d'agir sans relâche, de construire pour et avec les personnes désarmées, mais jamais démunies de tout. Parce qu'il nous faut mobiliser autrement le droit, l'économie, le "social", et composer d'autres horizons de pensée et d'action. Parce qu'il nous faut imaginer des réponses souples, transitoires, évolutives, en devenir et remarquables, et faire ainsi face aux questions diverses, complexes, singulières, et urgentes qui nous sont posées, ici et maintenant. Parce qu'il nous faut trouver le chemin des "villes invisibles" pour toujours davantage leur "faire de la place", comme nous y invite Italo Calvino :

L'enfer des vivants n'est pas chose à venir ; s'il y en a un, c'est celui qui est déjà là, l'enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons d'être ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première réussit aisément à la plupart : accepter l'enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l'enfer, n'est pas l'enfer, et le faire durer, et lui faire de la place.

Italo Calvino, Les villes invisibles.






vendredi 21 janvier 2011

Réinventons notre logement !

Tribune publiée le 20 janvier 2011 dans Médiapart

En continuant de s’approcher si dangereusement de l’Elysée, les Jeudi Noir vont finir par faire céder le pouvoir. Ainsi, la supplique de tous les militants va-t-elle enfin être entendue : l’obtention d’un logement grâce à la mise en œuvre de constructions par centaines de milliers. Toujours plus éloignées, toujours plus standardisées, toujours plus invivables, ces constructions engendreront demain de nouvelles catastrophes.
Une ville inhabitable se profile à l’horizon d’un combat dont la victoire serait dramatique : la livraison de logements en masse, démultiplication de « produits » épongeant l’hémorragie de corps en trop, effaçant ainsi les traces de l’étendue du désastre. Bouygues construction et AXA assurances logement frétillent déjà en imaginant l’aubaine. Lorsque se dénonce la « crise du logement », entendons que c’est le logement qui est la crise.
« Réinventons notre logement » annonce une banderole imaginaire hissée au 8e étage de l’immeuble du 22 avenue Matignon squatté par les « galériens du logement ». Imaginons que cesse l’éreintante réclamation auprès de ceux à qui l’on prête l’invraisemblable pouvoir de satisfaire le désir de tous. Imaginons que s’altèrent les rôles et que les dites « victimes » refusent enfin de dépendre du bon vouloir des dits « responsables ». Imaginons qu’à la force d’actes nouveaux se réinvente le combat. Imaginons que se conquière ainsi une autre manière de construire la ville.
Des bureaux de l’Elysée, on élabore en majuscule. De là haut, on envisage le Grand Paris, grand œuvre urbain offert au peuple ébahi, sinécure et parousie. Ici-même, dans l’espace et le temps de la condition du seul véritable peuple qui vaille, il nous faut collectivement construire ce qui doit l’être. Tel serait le pari d’une nouvelle consultation internationale et débridée auprès d’architectes déterminés à faire l’hospitalité plutôt que le spectacle. En contrepoint de la métropole planifiée et inhospitalière, mille paris architecturaux devraient ainsi envisager répondre à la modeste hauteur de nos situations éparses.
Dans les 2500 m2 de bureaux occupés au 22 avenue Matignon à Paris, le confort est sommaire, l’isolation sonore inexistante, le plaisir d’habiter minimal. Faire l’amour, manger, dormir, travailler, sont autant de nécessités que les lieux doivent permettre. On ne saurait toucher au bâti : la trentaine d’étudiants domiciliés dans cet immeuble n’en sont pas les propriétaires. On doit envisager l’espace habitable sous la forme de structures aisément démontables et déménageables : les étudiants quitteront les lieux une fois leur diplôme obtenu, voire plus précipitamment si la situation tourne mal.
Monsieur Apparu a déclaré que la transformation d’espaces de bureaux en espaces habitables reviendrait trop cher. Il faut faire mentir le ministre tout en respectant les plus élémentaires des réglementations. Le défi mérite d’être relevé tant il ouvrirait d’immenses perspectives : en Île-de-France aujourd’hui, 4,5 millions de mètres carrés de bureaux sont vacants, c’est à dire 1,5 millions de plus qu’en 2005, conséquence notamment du système de notation boursière qui attribue un triple A aux entreprises dont 10% au moins de leur patrimoine immobilier demeure vacant, c’est à dire constitué comme une forme de réserve de liquidités.
Monsieur Apparu a déclaré que demeurait inenvisageable la mise en application de la loi de réquisition prétendument synonyme d’expropriation. Il faut faire mentir le ministre en démontrant que l’on peut habiter temporairement et envisager une application souple de cette loi qu’il ne semble toujours pas avoir lue : procédure précisément encadrée, la réquisition n’envisage ni viol ni vol de la propriété. Au demeurant, cette loi s’avère moins radicale que la jurisprudence européenne qui, s’imposant au législateur français, a reconnu en octobre dernier la suprématie du droit au logement : la Cour Européenne des Droits de l’Homme a en effet invalidé une procédure d’expulsion d’occupants sans titre au motif qu’ils se « trouvaient en situation de précarité et fragilité, et apparaissaient mériter, à ce titre, une protection renforcée » (décision du 12 octobre 2010, Société Cofinco c. France). L’innovation en matière de modalités d’occupation s’impose comme un enjeu d’avenir.
Monsieur Apparu a laissé entendre que les méthodes sauvages et peu sérieuses de Jeudi Noir ne permettraient pas d’envisager de solution durable au mal logement. Laissons aux prédicateurs le loisir de (laisser) croire en la solution finale. Entreprenons, dans les conditions de temps, d’espace et d’économie que nous connaissons, les constructions modestes, temporaires, imparfaites, et toujours singulières qui s’imposent. Au 22 avenue Matignon ne se résoudra pas la question du mal logement et le sort des sans-abri, communautés roms ou autres familles précaires, s’en trouvera inchangé. Ici, trente étudiants peuvent vivre mieux, et le maximum doit être engagé pour relever ce défi aussi modeste que fondamental. Ailleurs, avec le même pragmatisme, d’innombrables réponses doivent pouvoir s’envisager pour répondre aux situations singulières et dramatiques des 3,5 millions de mal logés que compte le pays. Mille paris architecturaux doivent donc être entrepris. Ainsi, nous réinventerons notre logement, à mille lieux de ce que désigne aujourd’hui cette pâle catégorie de l’administration. Alors, peut-être, se réinventera une politique du logement aujourd’hui dans l’impasse.



Photomontage réalisé par Gonzague Lacombe, graphiste (http://www.directeurgeneral.com)